Communiqué envoyé à l'Education Nationale
Publié : 28 mars 2015 18:22
Fallait-il priver des millions d’élèves du spectacle de l’éclipse de Soleil du 20 mars 2015 ? Certainement pas ! La Société Astronomique de Bourgogne, qui depuis 40 ans est reconnue comme l’un des grands acteurs nationaux de la vulgarisation de l’astronomie, présente ses arguments.
Dans plusieurs académies, des consignes ont été données aux écoles et aux collèges pour cloitrer les enfants dans les classes le temps de l’éclipse : le timing tardif (les instructions ont souvent été données la veille de l’évènement), et les horaires parfois faux (à 11h les élèves pouvaient sortir alors que l’éclipse était loin d’être finie), laissent penser que ces décisions ont été prises dans la panique et sans concertation. Il y avait pourtant beaucoup mieux à faire sur ce qui aurait dû être un évènement d’exception pour la culture scientifique en France. Voici quelques arguments, constats et suggestions de la Société Astronomique de Bourgogne.
- Y a-t-il des conseillers scientifiques à l’Education Nationale ? Et les écoute-t-on ? On sait prévoir les éclipses depuis Ptolémée au moins, c'est-à-dire depuis plus de 2100 ans. Comment peut-on encore être surpris par l’avènement d’une éclipse ? Surtout que la grande éclipse de 1999, totale en France, n’est pas si loin. Ne reste-t-il plus rien de l’expérience acquise à ce moment ? Devant la rupture de stock de lunettes, tout le débat semble avoir porté sur l’idée « Sans lunette, point de salut », jusqu’à s’en mettre des œillères et finir par emprisonner les yeux des enfants dans des salles obscures , alors que bien d’autres moyens, sans danger, en projection et sans regard direct, étaient envisageables, dont justement la chambre noire, ou sténopé, que l’on peut réaliser avec un simple trou percé dans un carton… ou juste une écumoire. Pourquoi cette éclipse n’a-t-elle pas été anticipée ? Pourquoi aucune consigne n’a-t-elle été donnée en amont aux professeurs pour la prévoir, soit en se munissant de lunettes, soit leur indiquant des méthodes alternatives ? Même la veille il aurait suffit d’indiquer aux enseignants la méthode du sténopé, simple et sans aucun danger. Si quelques cas ont été relevés lors de l’éclipse de 1999, qui avait lieu en août et qui voyait donc le public livré à lui-même hors période scolaire, il y avait la possibilité cette fois d’encadrer l’animation de cet évènement dans le temps scolaire en toute sécurité. L’Education Nationale n’est-elle plus un lieu sûr d’acquisition des connaissances, et doit-elle irrémédiablement sombrer dans les peurs ? Les nombreuses associations et animateurs d’astronomie en France auraient sans doute pu aussi accompagner les écoles et collèges dans leurs projets concernant cette éclipse.
Passoire- Une information contre-productive. L’urgence de la décision et sa radicalité, ainsi que l’absence de discours pédagogique sur le phénomène, (à part une série de mises en garde « à la vue » et d’interdictions) ont été fortement anxiogènes et ont engendré une forte confusion. Beaucoup de personnes croient aujourd’hui que c’est l’éclipse elle-même qui est dangereuse, que par un phénomène étrange, le passage de la Lune devant le Soleil accentuerait la dangerosité des rayons du Soleil, alors qu’au contraire elle les cache. Et finalement le message de prudence principal à mettre en avant, celui qui dit que le Soleil est dangereux à regarder, tous les jours, n’est pas passé. Plutôt qu’une pédagogie sérieuse sur l’évènement, c’est l’obscurité et l’obscurantisme qui ont été choisis.
- Une mesure contradictoire avec les dernières annonces ministérielles. Il y a quelques semaines Madame la Ministre de l’Education Nationale annonçait une réforme des collèges sur le constat que « Les élèves s’ennuient ». Les collèges pourraient même choisir une partie des programmes abordés. D’autre part, on fait le constat alarmant depuis de nombreuses années de la désaffection des filières scientifiques. Il y avait là une occasion unique de faire de la Science facile, de la Science autrement, de la Science buissonnière non plus dans une salle de cours, mais dans la cour de récré. Une expérience amusante et ludique qui tirait son essence du réel. Nombreux sont les témoignages d’astrophysiciens qui tirent leur vocation du spectacle d’un évènement céleste, et même pour ceux qui ne se destinent pas à des carrières scientifiques, un tel évènement se doit d’être vécu comme un moment inoubliable, à la fois scientifique et poétique, qui éveille à la mécanique céleste, à l’environnement, plutôt que d’en faire une punition qui prive les enfants de récré. Il y avait là une occasion unique d’émerveiller et d’éveiller des vocations
Observation- Un désastre pour la culture scientifique, et la culture en général. Des exemples douloureux nous rappellent tous les jours que la culture est aujourd’hui menacée dans le monde entre deux visions étroites : celle de partis extrémistes et celle de terroristes niant les représentations passées. 2015 a été décrétée Année Internationale de la Lumière par l’ONU et l’UNESCO. On y célèbre notamment le millénaire des travaux d’Alhazen, mathématicien, philosophe et physicien arabe, précurseur de la méthode scientifique par l’expérience, et inventeur du sténopé, dans son traité d’optique. Il y avait là tout un travail transversal qui aurait pu être fait, mêlant à la fois des points de vue historiques, technologiques (d’où vient la « camera » de nos smartphones ?), physiques, mathématiques, biologiques (par l’étude de l’œil), philosophiques ou linguistiques… Une occasion unique, et manquée, de montrer que la richesse et la connaissance naissent du partage et de l’échange entre les peuples, comme l’a toujours encouragé la Science.
La prochaine éclipse partielle visible en France aura lieu en 2021, en attendant celle, encore plus spectaculaire que cette année, totale en Espagne, de 2026. Espérons que d’ici là, l’humanité, et la France, auront retrouvé leurs valeurs d’ouverture et de curiosité, plutôt que d’enfermer leurs enfants dans la peur et l’obscurité.