JWST : qui décide de qui observe ?

Astro, espace, cosmologie ... Générales ou plus pointues, voici l'espace des "grandes questions".
Répondre
Avatar de l’utilisateur
Vincent Boudon
Messages : 19263
Inscription : 05 juil. 2008 13:36
Localisation : Dijon
Contact :

JWST : qui décide de qui observe ?

Message par Vincent Boudon » 09 janv. 2022 12:54

Mon collègue Franck Selsis, astrophysicien de Directeur de RechercNRS à Bordeaux nous explique comment sera attrovué le temps d'observation sur le JWST.
James Webb : qui décide ce qu'on observe et qui récupèreles observations ?

Julien Wacquez m'a posé une question qui peut intéresser d'autres membres du groupe, aussi j'y réponds par un post. Il s'agit de savoir comment sont sélectionnées les observations que va faire le télescope spatial James Webb, et qui va avoir accès aux données recueillies.
Les observations qui seront faites avec le JWST se répartissent en 4 catégories :

- Les ERS (Early Release Science). Celles-ci seront faites en premier et les données recueillies seront publiques dès réception. Il s'agit d'observations proposées par des communautés de chercheurs car elles sont à la fois jugées prioritaires par ces communautés mais qu'elle permettent également d'évaluer les performances de tous les instruments ainsi que les logiciels pour les traiter. La liste des programmes ERS est ici : https://www.stsci.edu/.../science.../ap ... s-programs
Dans mon domaine par exemple, on a sélectionné un ou deux Jupiters chauds dont on va observer les transits (quand la planète passe devant l'étoile) et les éclipses (quand elle passe derrière) avec tous les instruments de façon à obtenir des spectres de l'atmosphère couvrant toute la gamme spectrale disponible (de 0.6 à 30 microns). On va aussi observer comment l'émission de la planète change (en intensité et en distribution spectrale) avec sa phase orbitale.

- Les GTO (Guaranteed Time Observations) ou "temps garanti". Il s'agit d'heures d'observations qui ont attribuées aux équipes qui ont construis les instruments du JWST (NIRCam, NIRSpec, MIRI et Niriss, j'ai un peu l'impression d'énumérer la compagnie des nains dans Le Hobbit 🙂 ) ou qui ont développé des logiciels pour leur utilisation. Cela constitue environ 15% du temps sur les 3 premières années d'observation. Les consortiums des instruments décident comment utiliser leur temps garanti et le proposent au Space Telescope Science Institute (qui peut éventuellement le refuser). Par exemple, ayant dirigé une partie de la conception de l'instrument MIRI (celui qui va le plus loin dans l'infrarouge), Pierre-Olivier Lagage du CEA est à la tête d'une équipe qui va utiliser une partie de son temps d'observation pour observer 5 éclipses de la planète b de TRAPPIST1 avec MIRI. Lui et son groupe seront propriétaires des données pendant 1 an.
La liste des GTO acceptées pour le cycle 1 (la première année) est donnée ici : https://www.stsci.edu/.../approved-programs/cycle-1-gto

- Les GO (General Observer) constituent les observations que n'importe quelle équipe de scientifiques peut demander. En astronomie on appelle le comité qui sélectionne ou rejette les demandes un TAC (Time Allocation Committee). Ces TACs sont composés de scientifiques qui évaluent les demandent en fonction de leur faisabilité, de leur coût en heures d'observations et des résultats que l'on peut en attendre. Une originalité de la procédure pour le JWST (et c'est aussi le cas depuis peu pour Hubble) c'est que les évaluateurs ne connaissent pas les noms des proposants (bien sûr ils peuvent le déduire mais ils ne sont pas supposés le faire). La liste des observations ainsi sélectionnées se trouve ici : https://www.stsci.edu/.../approved-programs/cycle-1-go
Les proposants peuvent demander à être les seuls propriétaires des données pendant une durée allant jusqu'à 1 an mais ils peuvent également renoncer à ce privilège. Par exemple, je fais partie d'un groupement ayant pour but de coordonner les observations du système TRAPPIST-1 et nous avons décider de rendre public les données dès leur obtention. Seule une des équipes participant a choisi de conserver les données de l'observation qu'elle a proposée pendant un an (ce qui m'embête car c'est un proposal dont je suis l'un des signataires mais la personne qui a dirigé la demande a eu le dernier mot).

- Enfin, les DDT : Director's Discretionary Time. Il s'agit de temps que le directeur du Space Telescope Science Institute (et son conseil scientifique) peut décider d'attribuer à une demande qui lui est faite sans passer par les TAC. C'est pour pouvoir observer un évènement ponctuel dont on vient de prendre connaissance : une supernova a eu lieu, un objet interstellaire comme 'Oumuamua vient d'être détecter et s'éloigne rapidement, un phénomène nouveau sur Jupiter, ... brefs, des opportunités d'observation qui demandent de la réactivité. Si vous penser qu'il faut pointer demain le JWST vers une cible exceptionnelle, c'est par cette voie qu'il faut passer.

Voilà, on a fait le tour. Le fait que les données sont publiques soit immédiatement soit rapidement (un an ça passe très vite en recherche) a des côtés positifs mais il faut réaliser que c'est beaucoup de stress pour les scientifiques. Vous pouvez choisir de travailler avec rigueur et de mettre du temps mais il est presque sûr qu'un autre groupe publiera une analyse des données avant vous. Il va donc falloir que l'on apprenne la patience (dur pour les média) à ne pas se focaliser sur les premiers papiers qui vont sortir.
Vincent

Répondre